Caribbean Journal: Tout d’abord, vous estimez qu’on peut se féliciter pour l’engagement de la CARICOM à revoir les taxes et les frais sur les billets d’avion.
Les arguments en faveur d’une révision des taxes et redevances sur les billets d’avion sont avancés depuis plus de deux décennies et il a peut-être fallu la pandémie pour que les gouvernements de la région la plus dépendante du tourisme au monde comprennent pleinement comment les taxes et redevances sur les compagnies aériennes agissent, de manière contre-intuitive, comme des éléments dissuasifs pour maximiser les recettes fiscales et l’emploi liés au tourisme.
Beaucoup ont toujours “su” que les taxes directes sur le tourisme, telles que les taxes sur les nuitées, les taxes et redevances sur les billets d’avion et les taxes de départ, constituaient la somme totale des taxes et redevances dérivées du tourisme. Cette perception erronée vient du fait que la plupart des systèmes de comptabilité des recettes publiques ont des postes qui ne retracent que ces taxes directes sur le tourisme. Ainsi, lorsqu’un gouvernement cherche à augmenter les revenus du tourisme, il “sait” qu’il doit augmenter une partie ou la totalité de ces taxes directes, et non les diminuer.
Mais toutes les études sur les taxes touristiques que j’ai consultées montrent que la somme des taxes indirectes et induites perçues sur les transactions liées au tourisme dépasse la somme des taxes directes. Il n’existe aucune comptabilité publique détaillée permettant de retracer les taxes indirectes et induites telles que les paiements de la TVA par les professionnels du tourisme, les taxes sur le carburant payées par les chauffeurs de taxi pour les transferts et les excursions, les taxes à l’importation payées par les hôtels pour les produits consommés par leurs clients, les taxes payées aux sociétés de transport routier et à leurs salariés qui assurent les livraisons aux établissements touristiques, etc, etc. Le montant de toutes ces taxes indirectes et induites par le tourisme est invisible pour les comptables publics, car elles sont regroupées dans de nombreuses catégories comptables fourre-tout dans les systèmes gouvernementaux.
Ainsi, jusqu’à présent, chaque fois que quelqu’un recommandait la suppression ou la réduction des taxes et redevances directes sur les billets d’avion, les comptables des gouvernements sont incapables d’identifier et de prendre en compte les taxes touristiques induites et indirectes. Ils en déduisaient qu’une telle mesure ne pouvait qu’entraîner une perte de recettes fiscales touristiques. Les économistes en revanche, grâce à des outils analytiques de comptabilité spécifiques au tourisme, savaient que ce n’était pas le cas, surtout si la réduction des taxes et des redevances sur les billets d’avion stimule les voyages vers la destination et entraîne une augmentation du nombre total d’arrivées.
En outre, nous félicitons les dirigeants du CARICOM pour leur perspicacité qui échappe souvent à beaucoup. Nous ne sommes pas opposés à toutes les taxes et redevances sur les billets d’avion mais nous avons toujours été contre les taxes et redevances fixes élevées, en particulier sur les billets des compagnies low-cost. Il n’est pas difficle de comprendre pourquoi.
Si le tarif aérien de base d’un billet est de 100 dollars et que les taxes et frais fixes sur un billet aller-retour sont de 100 dollars alors le prix de ce billet est augmenté de 100 %. Mais si le tarif aérien de base d’un vol longue distance est de 1 000 dollars, les taxes et frais fixes de 100 dollars n’augmentent le prix total du billet que de 10 %. Vous voyez donc que les taxes et frais fixes élevés pénalisent le plus nos marchés de proximité. Peu importe que nous aimions nous vanter d’avoir des visiteurs venant de pays très éloignés, les marchés de proximité génèrent beaucoup plus de volume d’affaires en raison de la décision plus spontanée de voyager et d’effectuer plusieurs trajets au cours d’une année. Regardez Orlando (50 % de son activité provient de l’État de Floride), Las Vegas (25 % de son activité provient du sud de la Californie) et Macao (40 % de son activité provient de la province chinoise la plus proche). Et, oui, les marchés les plus proches ont toujours de meilleures performances que les marchés éloignés lorsque la durée des séjours est prise en considération.
Où sont ces marchés proches pour les Caraïbes tels que définis reconnus par le CARICOM ? Les Caraïbes elles-mêmes. N’oubliez pas que les taxes et frais fixes pour les billets inter-îles dans les Caraïbes sont appliqués par les deux pays pour un vol aller-retour. Cela explique la chute des voyages d’affaires et de loisirs dans la région. Nous avons tous vu des cas où les prix des billets d’avion sont inférieurs pour les voyages depuis des pays de la Caraïbe vers la Floride par rapport aux prix des billets entre les pays proches dans la Caraïbe. Lorsque nous examinons les composantes d’un billet d’avion, nous constatons souvent dans les Caraïbes que le total des taxes et frais fixes dépasse la part que reçoit la compagnie aérienne. Je suis convaincu que si cette solution avait été mise en place il y a quelques années, la LIAT serait toujours en activité.
Les ajustements à la baisse des taxes et redevances fixes peuvent donc avoir des effets positifs de grande ampleur en attirant plus de transporteurs privés dans la région et en stimulant les voyages dans notre région.
Si la diminution du prix des billets d’avion entraîne une augmentation des arrivées de visiteurs et du taux d’occupation, comme toutes les études l’ont montré, alors les redevances issues des taxes directes et indirects entraîneront très certainement une augmentation significative des revenus fiscaux.
Enfin, il y aussi l’avantage d’attirer plus de transporteurs. Les Caraïbes ont des tarifs aériens parmi les plus élevés au monde mesurés sur la base du kilomètre parcouru. Si nous pouvons ajuster à la baisse les taxes et les frais appliqués aux billets d’avion, cela pourrait être le déclic nécessaire pour stimuler l’augmentation du trafic d’affaires et de loisirs dans les Caraïbes.
En fin de compte, tout cela se traduit par une augmentation de l’activité économique, des recettes fiscales et des offres d’emplois pour les États de la Caraïbe.
crédits photos : Aeropix